La montagne des singes

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Une rencontre insolite avec une espèce précieuse à préserver.

Je ne vais pas le cacher, je me suis rendu à la montagne des singes avec une appréhension.

Je voulais découvrir le lieu car il est bien connu en Alsace, mais j'y suis allé avec des a priori. Les habitants de cette montagne pas comme les autres sont les Macaques de Barbarie, scientifiquement nommés Macaca sylvanus et affectueusement appelés Magots. L'opportunité d'observer ces créatures de si près promettait une immersion unique dans leur monde.

Dès l'arrivée, le cadre naturel a rappelé immédiatement l'habitat d'origine de ses pensionnaires : de grands espaces boisés, de la forêt des des rochers. Savoir que ces lieux sont conçus pour se rapprocher des régions montagneuses jusqu’à 2200m d’altitude du Maroc et de l'Algérie, leur aire de répartition géographique, ajoutait une dimension d'authenticité à l'expérience.

Le Macaque de Barbarie est aujourd'hui classé comme une espèce en danger par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Cette classification souligne la précarité de leurs populations sauvages, estimées à moins de 8000 individus. Dans ce contexte alarmant, les parcs animaliers jouent un rôle crucial dans la sensibilisation et la préservation de cette espèce emblématique. Derrière la fascination de la rencontre se cache donc un enjeu de conservation majeur.

C'est parti pour la visite !

Un magot profite des rayons du soleil assis sur la rembarde
un magot qui montre ses canines pour défendre sa nourriture
La montagne des Singes est un lieu privilégié pour observer les Magots en semi-liberté

Une vie sociale animée

La promenade à travers l'enclos fut une immersion progressive dans la vie d'un groupe de magots. Leur activité diurne était palpable : certains se déplaçaient avec agilité, d'autres interagissaient par petits groupes, et quelques-uns semblaient s'adonner à une sieste bien méritée.

Les interactions sociales au sein du groupe étaient fascinantes à observer. J'ai été témoin de séances d'épouillage, un comportement qui, comme l'indiquent les panneaux informatifs, est un signe d’affection entre eux. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il ne s'agit pas de se débarrasser de puces ou de poux, mais plutôt d'enlever occasionnellement des pellicules, renforçant ainsi les liens sociaux au sein du groupe.

Rapidement, la complexité de leur structure sociale est devenue évidente.

Il existe une hiérarchie bien définie au sein du groupe, où chaque membre occupe une position bien définie. J'ai pu distinguer des individus plus dominants, dont la posture et les interactions avec les autres membres du groupe témoignaient d'un rang supérieur. Il est expliqué au sein du parc que les mâles adultes et sub-adultes ont un rang supérieur aux femelles. Une première indication de cette organisation sociale sophistiquée.

séance d'épouillage entre deux macaques de barbarie
Les liens familiaux et la structure sociale sont très forts au sein du groupe

La sieste et les jeux : aperçu de la vie quotidienne

Au-delà des interactions sociales actives, j'ai également observé des moments de quiétude. Les singes se regroupaient parfois pour se reposer, se blottissant les uns contre les autres. Ce comportement prend tout son sens lorsque l'on sait qu'ils restent dehors été comme hiver.

Les plus jeunes membres du groupe étaient une source d'animation constante. Leurs jeux et leur exploration de l'environnement offraient un aperçu de leur développement et de leur curiosité naturelle. J'imaginais sans peine les bébés naître en hauteur (car oui, les bébés naissent dans les arbres). Si j'ai été assez assidu, il s'agit d'un gage de sécurité face aux potentiels prédateurs (à l'état sauvage du moins).

deux bébés magot dans des sapins
Deux jeunes macaques explorent leur environnement arboré, qui rappelle leur habitat naturel.

L'heure du festin : le nourrissage commenté

L'approche de l'heure du nourrissage a suscité une petite agitation au sein du groupe. Les singes semblaient anticiper l'arrivée des soigneurs, se rassemblant progressivement dans les zones habituelles de distribution de nourriture. Le régime alimentaire des macaques de Barbarie est varié, comprenant principalement des végétaux mais aussi des insectes, des araignées, voire même... des scorpions ! (bon, c'est en Afrique du Nord, mais bon, chapeau)

Dans le parc, leur alimentation est soigneusement équilibrée pour répondre à leurs besoins nutritionnels. Les quantités sont impressionnantes. On parle de 180 kilos de fruits et légumes, et de 50 kilos de céréales qui sont distribués quotidiennement. Et ceci complété par les végétaux et invertébrés trouvés dans le parc (herbes, feuilles, insectes, araignées, etc).

Le nourrissage commenté a été particulièrement instructif. Les soigneuses ont partagé des informations précieuses sur les habitudes alimentaires des singes, les spécificités du régime en captivité, et parfois même des anecdotes sur certains individus. J'ai pu observer comment la hiérarchie du groupe se manifestait lors de la distribution de la nourriture. Les individus de rang supérieur avaient un accès privilégié aux meilleures portions, tandis que les autres attendaient leur tour ou récupéraient les restes.

le chef du groupe de magot qui mange dans le seau de la soigneuse
Un chef en train de manger directement dans le seau de la soigneuse, qui illustre de manière frappante sa position privilégiée au sein du groupe

La complexité sociale et la reproduction

Au-delà des interactions liées à l'alimentation, j'ai approfondi ma compréhension de la structure hiérarchique complexe des magots. Chez les mâles, l'accès au statut de chef n'est pas une simple question d'âge ou de force brute. Il s'agit d'un processus où la personnalité joue un rôle crucial, permettant à un mâle entre 10 et 15 ans, âge où ils sont dans la force de l'âge, de gagner le meilleur soutien au sein du groupe.

Pour monter dans la hiérarchie, les mâles doivent être stratège et créer des alliances. Ils se bâtissent un réseau de mâles haut placés, qui le soutiennent face à ses concurrents. Un chef peut ainsi conserver sa position plusieurs années.

Chez les femelles par contre, l'acquisition du rang hiérarchique suit une règle différente : il se transmet de génération en génération. Une fille, avec le soutien régulier de sa mère lors de conflits avec d'autres individus, s'impose progressivement aux singes de rang inférieur. Et tôt ou tard, c'est elle qui prendra la position hiérarchique de sa mère.

Intéressant !

La reproduction chez les magots est strictement saisonnière. Le rut a lieu de mi-octobre à fin janvier. Durant cette période, les femelles en chaleur s'accouplent avec plusieurs mâles, ce qui rend l'identification du père impossible. 5.5 mois plus tard (période de gestation), on se retrouve au "printemps / début été, période des naissances.

Il est fascinant d'apprendre que les magots ont développé des mécanismes pour éviter la consanguinité. mâles et femelles de proche parenté par exemple ne vont pas s'accoupler entre eux, et certains mâles quittent leur groupe natal pour rejoindre un groupe voisin où toutes les femelles sont des partenaires potentielles car non apparentées. Il y en a 4 dans le parc.

Les mâles et les bébés : Une relation étonnante

L'une des observations les plus surprenantes concerne l'interaction des mâles avec les bébés. Bien que les paternités ne soient pas connues, les mâles montrent un intérêt et un comportement protecteur envers les jeunes dès leurs premiers jours. Ils les épouillent et les protègent.

Mais la raison principale de cette attention particulière est encore plus maligne : les mâles utilisent les bébés pour entrer en contact amical entre eux (malins !). Un mâle peut emprunter un bébé à sa mère et l’emmène chez un autre mâle pour faire du relationnel. Les deux mâles s'assoient alors ensemble et établissent, à travers le bébé, un contact amical.

S'occuper des bébés ensemble leur permet de se faire... de nouveaux amis.

une famille de macaques de barbarie
Les liens familiaux et la structure sociale sont très forts au sein du groupe

La conservation : un enjeu crucial

Revenir à la réalité du statut "en danger" des magots sauvages confère une importance particulière à l'existence de parcs comme celui que j'ai visité. Avec une population sauvage estimée à moins de 8000 individus, chaque initiative de conservation est essentielle.

Pour en toucher un mot, les causes du déclin des populations sauvages sont multiples et alarmantes... et une nouvelle fois lié à l'homme : la perte et la dégradation de l'habitat naturel due à l'exploitation forestière excessive et aux surpâturages sont des menaces majeures pour le magot. Pire, il existe un commerce illégal de bébés, où chaque année au Maroc de nombreux jeunes sont arrachés à leurs mères pour être vendus comme animaux de compagnie...

Dans ce contexte sombre, les parcs animaliers jouent un rôle crucial dans la sauvegarde de l’espèce. Les singes présents dans ces parcs constituent une réserve génétique précieuse qui permet de renforcer les populations sauvages. Des efforts concrets sont entrepris, comme en témoignent les près de 600 singes qui ont été réintroduits avec succès dans leur milieu naturel au Maroc en 1980 et 1986.

Les gouvernements et institutions ont également un rôle essentiel à jouer, en mettant en ayant mis en place des actions telles que la protection des habitats naturels, en créant des réserves et des parcs nationaux ou en ayant mis en œuvre des plans nationaux de conservation du macaque de Barbarie au Maroc en 2011 et en Algérie en 2018.

Visiblement la présence du Magot est bien plus qu'un simple élément de la faune nord-africaine. Il serait un indicateur de la richesse de la biodiversité dans son habitat. La conservation du macaque de Barbarie est donc un enjeu qui dépasse la simple protection d'une espèce ; il s'agit de préserver un écosystème entier.

un macaque de barbarie assis sur un tronc d'arbre
un bébé magot qui grimpe dans un arbre
Les macaques de Barbarie sont de très bons grimpeurs, et vous observeront de haut

En conclusion

Ma visite à la montagne des singes fut bien plus qu'une simple promenade.

Ce fut une véritable immersion au cœur de la vie fascinante des macaques de Barbarie, une rencontre "insolite" avec une espèce à la structure sociale complexe et aux adaptations remarquables. J'ai pu observer de près leurs interactions, leurs comportements alimentaires, et les liens qui unissent les membres du groupe.

Cette expérience a également mis en lumière l'importance cruciale de la conservation de cette espèce menacée. Les efforts des parcs animaliers, combinés aux actions des gouvernements et des associations, sont essentiels pour assurer la survie des populations sauvages de magots.

En quittant ce lieu, au delà des images, je suis plus que jamais sensibilisé à la nécessité de protéger ces primates et leur habitat. La montagne des singes n'est pas seulement un lieu d'observation, mais aussi un lieu d'apprentissage et un appel à l'action pour la sauvegarde d'une espèce unique et précieuse.

Et vous ?

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